"Borom sarret", quand Ousmane Sembene dépeint le Sénégal post-colonial.

    Réalisé par Ousmane Sembene en 1963, « Borom Sarret » est un court métrage né dans un contexte socio-économique et politique bien précis. Une année qui correspond sans doute à une période d’après indépendance. Les colons sont partis et l’administration d’une zone qui est désormais un Etat souverain revient aux personnes qui y résident, les politiques. Les Sénégalais ont longtemps rêvé d’un changement dans leur mode de vie. Mais trois ans après la libération de certaines colonies, des pratiques coloniales persistent toujours et les conditions de vie sont devenues plus difficiles.

La mentalité du sénégalais a cette époque a été de mise dans ce film. Cette situation d’après indépendance est matérialisée dans le film par les éléments descriptifs. Sembene réalise ici un coup de maître en réalisant un film fort et dur sur le récit, un monologue riche certes humoristique mais parfois frappant. Les couleurs (noir et blanc), de même que les plans, les mouvements de caméra, les angles, séquences et rythmes sont fortement imprégnés d’époque.

 

Aux premières minutes de ce film, nous faisons connaissance avec le protagoniste, qui est le charretier ; assis sur son tapis de prière évoquant Allah pour sa protection ainsi que celle de sa famille. Paradoxalement, toujours dans son tapis ; il enfile des gris-gris. En effet, force est de constater que malgré l’islamisation d’une bonne partie de la société sénégalaise, certaines pratiques animistes prévalent toujours. Ces pratiques sont même normalisées. Elles sont ancrées à la société, peut être inchangeables. Une autre contradiction dans les réalités quotidiennes des sénégalais de l’époque ; le charretier, pauvre homme qui se bat toute la journée pour pouvoir survivre, donne au griot toutes ses bénéfices sous prétextes que celui-ci a fait les louanges de ses ancêtres guerriers et nobles. Cette réalité est bien sénégalaise.

Toute la journée, les techniques audiovisuelles (caméra) traduisent un travelling avant, un mouvement qui accompagne le charretier dans son travail, probablement pour permettre un meilleur investissement du spectateur dans le film. Le charretier qui reste anonyme, rencontre différents personnages qui ont chacun leurs propres problèmes et/ou histoires (le chômeur qui prend chaque jour la charrette pour chercher du travail ; la dame qui se lève le matin pour aller au marché, la femme enceinte qui se rend difficilement à l’hôpital, l’homme qui se rend au cimetière pour enterrer son enfant…). Il semble que ces luttes soient représentatives de problèmes sociétaux et économiques plus larges qui continuent d'affliger l'Afrique, particulièrement le Sénégal après l'indépendance. Les désillusions de l’indépendance. Entrelacés dans cette histoire, nous avons un aperçu de la monotonie du style de vie du protagoniste alors qu'il prend des passagers tout au long de la journée, dans l'espoir de gagner suffisamment d'argent pour nourrir sa famille.


Un autre aspect relatif à la caméra nous intéresse particulièrement. Il s’agit de la contre-plongée réalisée en ville, au Plateau, lorsque le charretier s’y est rendu avec son client. Cet angle de prise de vue valorise les lieux, matérialise une domination, la grandeur et de même que la richesse de l’environnement susmentionné. La technique traduit également un sentiment de malaise du personnage. A cette époque, malgré les indépendances, il existait toujours des quartiers indigènes et des quartiers prisés, ceux habités par l’élite. Par conséquent, les indigènes n’avaient pas le droit de se rendre dans une partie du territoire surtout avec des matériels comme les charrettes. Cette contre-plongée montre omis le charretier la grandeur et la beauté des lieux.

Au final, les dernières séquences de ce court métrage restent aussi particulièrement parlantes. L’homme, chef de famille a qui revient le devoir d’entretenir financièrement sa famille revient bredouille à la fin de la journée. Son épouse qui l’attendait (pour préparer le repas du soir), lui confia l’enfant pour aller chercher ce que son mari n’a pas pu trouver. En voici un renversement de rôles. De là, un sentiment d’espoir - que la femme du charretier arrive à combler ce besoin - nous anime. Une représentation de la femme qui laisse sans doute parait de la bravoure de celle-ci, socle de la famille. La femme du charretier subjuguée à jouer le rôle de maitresse au foyer ; celle qui attend, pourrait mener au contraire à satisfaire la famille. C’est sous cette note finale qui laisse en appel qu’Ousmane Sembene fini son histoire. Peut-être Sembene y puisait-il aussi des ressources techniques pour son ‘’Faat Kiné’’ ; apparu quelques années plus tard. Nous ne spolions pas !

 

‘’Borom Sarret’’ ! Que dire de mieux qu’un chef d’œuvre ? Ousmane Sembene a su brillamment mettre en scène la vie d’un sénégalais lambda à la suite des indépendances. Certains aspects évoqués dans ce film restent tout de même actuels. Au Sénégal d’aujourd’hui, c’est à croire que rien n’a changé. Les réalités restent actuelles, à dire que rien n’a changé. Ça se voit nette au premier regard. Obligés ! Telle une mélopée, le film a su interroger les multiples visages d'un continent émergeant de l'ère coloniale, aux prises avec les tensions de l'indépendance et de la modernité. Un adage dit bien que l’on doit gagner son pain à la sueur de son front. Et on ne peut qu’approuver. Mais y a-t-il pire pour un homme qu’arraché à ce qui fait bouillir sa marmite ? On s’interroge.

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