L’EROSION COTIERE L’HYDRE QUI NE CESSE D’ENGLOUTIR MBAO Des cœurs ‘’parlent’’
Mbao, un village côtier de Dakar mène un combat désespéré contre un adversaire implacable : l'érosion côtière. Alors que le village rétrécit, les habitants de cette communauté autrefois florissante se retrouvent désormais à la merci de la mer.
L’érosion côtière, phénomène qui a fini
d’engloutir les plages du Sénégal n’a pas épargné les côtes de Mbao dans le
département de Pikine. Depuis quelques décennies, la cité lébou qui offrait
jadis une belle plage et des maisons en bordure de mer est aujourd’hui de plus
en plus engloutie par les eaux, repoussant
chaque jour ses limites sur la terre ferme. En dehors de la disparition du
sable marin, les vagues ont fait tomber des murs de clôtures, des bâtiments et
ont causé la fermeture de beaucoup de résidences.
En cette matinée douce où le climat se montre quelque
peu conciliant, la mer est calme, avec de petites vagues se brisant doucement
sur le rivage. Elle se retire temporairement, comme pour reprendre son souffle
après une nuit de tumulte. Même si elle est meublée
par la présence de quelques jeunes venus décompresser en jouant au foot,
d’autres jeunes préfèrent, quant à eux, profiter de cette brise maritime. Leurs
rires et leurs cris se mêlent au fracas des vagues. Un peu plus loin, des
pirogues reviennent de mer. Rapidement,
du monde se grouille autour, où la voix des vagues, mêlée à celles des
mareyeuses, les vaillants piroguiers, aux bras musclés qui ont encore les pieds
sous l’eau sont accueillis comme des héros.
La plage est jonchée de débris
Après avoir planté le décor de cette
scène animée et pittoresque en bord de mer, une réalité plus sombre se profile
à l’horizon. Des maisons délabrées, leurs murs ébréchés par les assauts
incessants des vagues, témoignent d’une époque révolue. Nous nous approchâmes,
faisant un pas après l’autre, évitant soigneusement les vagues qui se brisaient
contre la berge. La plage est jonchée de débris, témoignant de
l’érosion continue. Le ciel brumeux, ajoutant à l’atmosphère de désolation. À
droite, un bâtiment avec un balcon donne sur la mer. Une silhouette se dessine
près du bâtiment. Une vieille dame, debout, contemple l'horizon. Mere Seck,
âgée de sept décennies porte les stigmates du temps, ses rides profondes
racontent une histoire. Elle a grandi sur ces terres, témoignant des caprices
de la mer qui a progressivement englouti les souvenirs de son enfance. « J’ai toujours vécu ici, j’habite Mbao depuis
toujours » lâche-t-elle, ses
cheveux gris flottent légèrement au gré de la brise marine. Issue d'une lignée de pêcheurs, elle a toujours appelé
Mbao son foyer, son refuge. Aujourd’hui, sa demeure est l’une des dernières
résistant encore. Pointant du doigt une roche, et voulant ressortir le recul du
trait de côte, elle observe que : «La mer a beaucoup avancée. Plus jeune, là
où nous nous tenons étaient les champs de mes parents. Il fallait faire un
grand détour pour venir ici. Aujourd’hui, beaucoup d’habitations sont au
fond de la mer. On a perdu des mosquées. Les villages de Ndiobene, Ndoyens,
Thieckens et Pouyens ont tous disparus. La mer a tout emportée » s’écœure-t-elle,
impuissante, le regard nostalgique. Elle n'aurait imaginé que cette même mer,
source de vie et de subsistance pour tant de générations, se retournerait
contre sa propre terre. Un homme barbu se joint à la discussion, inattendu. C’est
le fils de Mere Seck, Pape Ndoye. Il est vêtu d’une chemise bleue et
coiffé d’une casquette brune. Dans un murmure empreint de résignation, il
évoque le passé : « Autrefois, notre maison était située
à plus de 500 mètres du rivage, voire même plus loin. Mais aujourd'hui,
plusieurs habitations ont été englouties par la mer. Quand nous étions plus
jeunes, la maison d'un de mes amis se dressait juste là, à portée de vue. La
mer a tout pris. Désse tou niou dara, aww guédj yo bouna aww keur, sunuy tol
(nous avons plus rien, la mer a pris nos maisons, nos champs) » dit-il
d’un accent lébou très prononcé. Pape guide vers ce qu’il reste de la maison. A l’intérieur, dans une courette quelques personnes
s’affairent. On entend le bruit des vagues qui finissent par éclabousser tout
le monde. L’océan, sans y être convié, s’infiltre profitant d'un mur effondré
pour embrasser les pieds de ceux qui se tenaient là. L’eau, impromptue, ne
laisse même pas le temps d’une interrogation banale. Piroguier depuis trois
générations, Souleymane Ndoye, un sourire teinté d’ironie, n’a pas manqué de
saisir l’occasion pour exprimer ses inquiétudes : « Si nos maisons sont envahies
par la mer, je me demande est-ce que nous allons finir par habiter ? ». « Où
irons-nous ? » rétorque-t-il. La discussion s’oriente alors vers
l’avenir, un mélange de craintes et de détermination, alors que chacun exprime
sa vision pour surmonter cette épreuve. Des idées fusent, des projets de
barrières naturelles aux initiatives communautaires, révélant un esprit de
résilience qui refuse de céder face à l’avancée de la mer. Laissant derrière le
domicile des Ndoye, l'aventure se poursuit à l'extérieur. Un mur en béton,
autrefois un rempart contre les vagues, s'effrite lentement, réduit à l'état de
ruines par l'érosion. Des débris, tels que des morceaux de bois, des pierres et
divers types de déchets, sont éparpillés sur le sable. Plusieurs sacs en
plastique noirs et d'autres articles en plastique sont visibles parmi les
débris. Et pourtant, malgré la désolation du paysage,
il y a une beauté sauvage ici. Une beauté qui réside dans la lutte entre la
nature et l'homme.
Au loin, quelques bateaux naviguent paisiblement, leur
habillage blanc se détachant harmonieusement sur l'horizon bleu azur. Leurs
silhouettes semblent danser au rythme des vagues. Les mouettes survolent la
scène, planant gracieusement dans le ciel, leur cri strident résonnant comme
une musique familière.
« Beaucoup de
tombes ont été emportées par la furie des vagues »
La brume matinale s’est dissipée,
laissant place à un soleil éclatant qui impose désormais sa présence dans le
ciel. Il est maintenant 13 heures. Longeant le mur (de long d’une vingtaine de
mètres) qui menace de s'effondrer sous les assauts répétés des vagues, le
chemin mène un lieu de silence et de recueillement : le cimetière. Protégé par
cette même barrière précaire, il repose là. Là, devant ce cimetière, un homme
s’approche. C’est Massamba Seck, le gardien du cimetière, dont les mains ont
entretenu ces lieux avec dévotion. Il est vêtu modestement. « Que
faites-vous là ? » dit-il peu accueillant. La clarification
du rôle de journaliste et l’objet de la visite adoucissent son expression. Il
devint plus avenant, prêt à collaborer. Il confie alors cette réalité
amère : « Ici (le cimetière), même les morts ne sont pas épargnés.
Beaucoup de tombes ont été emportées par la furie des vagues. C’est sous mes
yeux que la moitié de notre cimetière a été englouti. Le cimetière s’étendait
jusque là-bas » montrant du doigt l’horizon. « Ceux
à qui les tombes se trouvaient un peu
plus loin sont partis dans la mer. Yàax yoyu dem nanù (Leurs os ont dénichés) »
ajoute-t-il avec véhémence, soulignant chaque mot comme pour graver la réalité
de cette tragédie dans la conscience collective. Le cimetière, qui a longtemps
servi de lieu de repos éternel, est désormais menacé par l’oubli. Les murs
affaissés du cimetière ne sont pas seulement le signe d’une lutte contre les
forces naturelles, mais aussi le symbole d’une communauté confrontée à
l’éphémère. « C’est un chapitre entier de notre patrimoine qui va disparaître »
soutient Massamba Seck.
Les déplacements forcés des populations
sont devenus monnaie courante, laissant certains sans abri. Face à cette calamité naturelle, les habitants ont
pris des mesures désespérées. Ils empilent des pneus de camions, formant une
barrière attristée contre la déchéance des vagues. Ils constatent avec désespoir que leurs efforts ne suffisent pas. « Denio
soona, nous sommes fatigués. Nos efforts sont vains. Les pneus que nous avons
installés ne tiennent plus face à la violence des vagues. On a besoin d’aide.
Il faut faire quelque chose pour Mbao » confie l’intendant de la
nécropole.
L’accalmie offerte par le monstre bleu permet des
civilités entre voisins.
A Mbao, où la vie quotidienne est
souvent marquée par des défis imprévus, les moments de répit sont précieux.
Lorsque le vent et les vagues, ces monstres capricieux aux deux visages,
choisissent de se calmer, ils offrent une trêve bienvenue. C'est dans ces
instants de tranquillité que les habitants saisissent l'opportunité d'échanger
des civilités. Ce qui peut sembler routinier pour le reste du monde prend ici
une valeur inestimable, transformant chaque geste amical en un acte de
solidarité et de communauté. La simple cordialité devient un luxe, un baume
pour les habitants souvent éprouvées par les caprices de la nature.
Alors que l’horloge marque 17 heures, le
jour commence à s’estomper, laissant place à un crépuscule teinté d’orange et
de pourpre. A Mbao, les populations passent leurs journées à surveiller le
mouvement des vagues. Chaque jour, ils scrutent l’horizon, cherchant un signe
d’espoir, seul garde-fou dont ils
bénéficient. Leurs destins semblent être noyés dans
les flots. La gageure de la situation est immense. Balcon sur la mer et
carrefour des marées, Mbao, risque de perdre son combat contre l’érosion côtière.
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