Les fameux cent premiers jours de la presse
Décidément, la silhouette famélique de la presse sénégalaise contraste avec l’opulence des attentes du public. En quête incessante de victuailles sensationnelles pour alimenter ses colonnes, elle se laisse souvent emporter par des élucubrations précipitées et des bévues répétées. Même élu pour 1 825 jours, le président Bassirou Diomaye Faye n’échappe pas au bilan des cent jours. L’exercice est quasiment devenu une symbolique incontournable, notamment dans les milieux journalistiques. Soit encore, le pouvoir bicéphale sénégalais peut d’autant moins s’y soustraire qu’il a promis une rupture radicale à pas cadencé. La pratique singulière des ‘’cent premiers jours’’ s'est enracinée dans le paysage médiatique sénégalais. Cet exercice, hérité de la tradition française, consiste à dresser un bilan préliminaire des actions du nouveau chef d'État. La tradition a une logique dans le système politique français, mais son transvasement au Sénégal est artificiel. Pourquoi calquer nos pratiques sur celles d'une autre nation, sans tenir compte de nos spécificités ? Notre histoire, nos institutions et nos rythmes politiques diffèrent significativement. En importons-nous également les attentes et les critères d'évaluation ? Mais cette importation, aussi attrayante soit-elle pour les titres de presse, mérite une analyse critique.
L’engouement de la presse
sénégalaise pour cet exercice des cent premiers jours soulève de nombreuses
questions. Il est impératif de s'interroger sur la pertinence et l'authenticité
de cette tradition empruntée, qui semble davantage servir les intérêts
médiatiques que ceux de la nation. Il faut que la presse sénégalaise refuse de
se plier aveuglément à la tradition des cents premiers jours parce que notre
devoir est d’offrir à nos lecteurs une analyse approfondie, nuancée et adaptée
à notre réalité nationale.
Certes, un bilan
préliminaire peut offrir un aperçu des premières initiatives et orientations
d'un nouveau gouvernement. Cependant, notre histoire politique, nos
institutions et nos attentes ne sont pas les mêmes. En adoptant aveuglément
cette tradition, la presse sénégalaise risque de manquer l'essentiel : une
évaluation rigoureuse et contextualisée des actions gouvernementales. Le
paysage médiatique, souvent critiqué pour sa mièvrerie insidieuse, se doit
d’évoluer vers une forme plus robuste et étoffée. Au lieu de s'enliser dans des analyses visqueuses
et superficielles, la presse devrait viser la rigueur et la profondeur,
fournissant ainsi des mets journalistiques de qualité qui nourrissent
véritablement la réflexion citoyenne. Elle se doit d'être le garant d'une
information équilibrée et critique, plutôt que de succomber aux sirènes de la
facilité et du sensationnalisme.
La presse, en tant que
vigie de la démocratie, doit s’efforcer de dépasser ces pratiques héritées et
inadaptées. Elle doit développer ses propres critères d’évaluation, en tenant
compte des spécificités locales et des attentes réelles du public. C’est
seulement à ce prix qu’elle pourra véritablement contribuer à la maturation de
notre démocratie et à l’épanouissement de notre nation.
En fin de compte, la
presse sénégalaise doit se rappeler que son rôle ne se limite pas à observer et
commenter les premières actions d'un nouveau président. Elle doit également
veiller à la continuité et à la cohérence de l'action gouvernementale, en se
gardant de jugements hâtifs et en s'efforçant de maintenir un regard critique
et constructif tout au long du mandat présidentiel. Notre engagement envers une
évaluation contextuelle ne signifie pas que nous éviterons de critiquer ou de
questionner le gouvernement. Au contraire, nous serons vigilants, mais avec
rigueur et honnêteté intellectuelle. Seule une presse audacieuse et critique,
capable de transcender les pratiques importées pour forger ses propres critères
d’évaluation, pourra véritablement remplir son rôle de quatrième pouvoir et
contribuer à l’essor de notre démocratie. Nous refusons de sacrifier la qualité
de notre analyse sur l’autel d’une tradition importée.
GROUPE D
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