Cité Imbécile : Les cicatrices d’un déguerpissement
Il y a cinq mois, au cœur de Yarakh, la Cité Imbécile tombait sous les coups des bulldozers. Ce bidonville, longtemps perçu comme une zone insalubre par les autorités, était bien plus qu’un amas de tôles et de bois pour ses 3 000 habitants. Aujourd’hui, alors que les ruines persistent, les voix des anciens résidents et des voisins racontent un récit de mémoire, de perte et d’incertitude.
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La Cité Imbécile |
Les premiers rayons de soleil éclairent un terrain désormais désertique, où s’entrelacent herbes folles et gravats. Jadis un labyrinthe vibrant de vie, ce lieu, qu’on appelait la Cité Imbécile, n’est plus qu’une étendue de terre battue, témoin silencieux de ce qui a été détruit. Sous la poussière soulevée par le vent, quelques objets brisés, des morceaux de tôles rouillées, une chaussure d’enfant oubliée rappellent la présence humaine qui animait cet endroit il y a encore six mois.
Une mémoire effacée, mais persistante
Au centre de cette scène, Fatoumata, une ancienne résidente, s’arrête et contemple ce qu’elle décrit comme « un vide qui pèse lourd ». Autour d’elle, les ruines sont autant de fragments d’une mémoire collective que les bulldozers n’ont pu effacer. « C’était chaotique, mais c’était chez nous. Chaque maison racontait une histoire », murmure-t-elle, en se baissant pour ramasser un vieux tissu, peut-être un vestige d’une vie passée.
Les souvenirs de la Cité Imbécile, autrefois un refuge pour des milliers de familles en quête de stabilité, hantent encore ses anciens résidents. Ce bidonville, considéré comme une zone insalubre par les autorités, était un lieu de solidarité où les voisins partageaient tout, des repas aux peines. « Ici, on avait des voisins qui étaient comme une famille. Il n’y avait pas de murs entre nous, juste des liens forts », raconte Mamadou Faye, qui vit désormais à Pikine, bien loin de l’agitation familière de Yarakh.
Alioune Diop, sociologue et spécialiste de l’urbanisation, replace l’histoire de la Cité dans un contexte plus large. « Les bidonvilles de Dakar comme la Cité Imbécile ne sont pas seulement des espaces de pauvreté. Ils représentent une adaptation sociale, un mode de vie basé sur la résilience. Les détruire, sans solution durable, c’est effacer un pan de la ville et de son histoire. »
Une vie à reconstruire
Les conséquences humaines de cette démolition sont visibles et déchirantes. Nombre de familles, comme celle de Fatoumata, ont été déplacées sans solutions de relogement immédiates. À Pikine, les conditions sont souvent pires que celles qu’elles ont laissées derrière elles. « Là-bas, nous avions des difficultés, mais ici, c’est l’enfer. Nous sommes entassés dans des maisons à moitié construites, sans eau courante ni électricité. Comment pouvons-nous vivre dignement ? » se lamente-t-elle.
Pour Alioune Diop, ce type de déguerpissement accentue les fractures sociales. « Ces opérations ne tiennent pas compte des réalités humaines. Elles déplacent les problèmes au lieu de les résoudre. Reloger une famille ne se limite pas à leur donner un toit. Cela implique de recréer tout un écosystème social et économique. »
Les vestiges de Yarakh : entre désolation et espoir
À Yarakh, le site laissé par la démolition ressemble à un champ de bataille abandonné. Des amas de pierres et de béton gisent là où des maisons de fortune s’élevaient. Les commerces environnants, autrefois animés par l’activité des habitants, souffrent de cette disparition soudaine. Pourtant, le terrain vide est une source d’espoir pour certains. « Ce serait bien de voir ce terrain servir à quelque chose de positif, mais pour l’instant, c’est juste un espace mort », commente Ousmane Seyz, un jeune habitant du quartier de Yarakh.
Marième Sow, urbaniste et défenseure d’une approche inclusive de l’urbanisation, soutient ces initiatives citoyennes. « Il est urgent que les autorités révisent leur manière de gérer les déguerpissements. Des solutions existent, comme la réhabilitation des bidonvilles au lieu de leur destruction, mais elles nécessitent une réelle volonté politique. »
Alors que les bulldozers poursuivent leur avancée dans d’autres quartiers de Dakar, les habitants de la Cité Imbécile se battent pour que leur histoire ne soit pas réduite à un amas de gravats. Leur combat est aussi un rappel que chaque démolition, chaque déguerpissement, porte des vies humaines derrière ses chiffres.
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